Pour mémoire, nous avons saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir dans la mesure où la formulation des âges pour procréer associait type de gamètes (ovocytes/spermatozoïdes), sexe de la personne (femme/homme) et âge… Un comble alors que le législateur a précisé explicitement que l’autoconservation de gamètes, pour raison médicale, devait être mise en oeuvre même en cas de changement de la mention du sexe à l’état civil !
Vraisemblablement une erreur de plume… qui en dit long de la connaissance de ces sujets par le pouvoir réglementaire !
Ceci dit, alors que nous étions encore occupées à communiquer sur notre première décision 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, des modifications ont été apportées.
Le décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 relatif à l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur pris en application de l’article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation a en effet modifié les articles R2141–36 et R2141-37 du code de la santé publique en remplaçant homme et femme par personne…
Seul l’article R2141-38 du code de la santé publique reste inchangé : il y est ainsi explicitement dit que l’insémination artificielle, l’utilisation de gamètes à des fins d’AMP ainsi que le transfert d’embryons ne peuvent être réalisés que jusqu’à 45 ans chez la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l’enfant.
Le Conseil d’Etat lui-même soutenait que la QPC ainsi que la modification du décret avait rendu notre saisine sans objet. Et pourtant, il n’en est rien puisque, si le législateur peut restreindre l’accès à l’AMP aux hommes uniquement lorsqu’ils sont en couple avec une femme, se posait encore la question de savoir si l’homme, au sein d’un couple formé d’un homme et d’une femme, peut avoir vocation à porter l’enfant.
Pas tous les hommes, ni tous les hommes trans, mais ceux qui le peuvent et le veulent, ou qui le doivent car leur compagne ne peut ou ne veut mener une grossesse.
Aujourd’hui, mercredi 6 mars 2024, avait enfin lieu l’audience à propos de cette affaire : et quelle déception d’entendre le rapporteur public conclure qu’il n’y a aucun problème de légalité, de constitutionnalité, ni de conventionnalité. En effet, la restriction dans l’accès à l’AMP et à la grossesse aux seules femmes répondraient d’un objectif, assurer le respect d’un principe structurant du droit, à savoir l’établissement de la filiation à l’égard de la mère par le biais de l’accouchement. Et tout de suite d’admettre que pourtant des hommes sont enceints, hors AMP, et que le droit –et en particulier les tribunaux– bricole alors des solutions au cas par cas.
Encore 2 ou 3 semaines avant que la décision ne soit rendue publique mais nous ne sommes pas très optimistes : soit la question juridique n’a pas été bien comprise, soit elle l’a été et la réponse qu’il est proposé d’y apporter est insatisfaisante !
Il est certain que si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ne nous ont pas entendu, la CEDH ne manquera pas, quant à elle, d’être sensible au fait que les hommes trans doivent aujourd’hui choisir entre porter un enfant et changer de mention de sexe à l’état civil.